Pourquoi Spotify et ses playlists personnalisées sont problématiques?

Les plateformes ont changé nos habitudes de consommation, en remplaçant petit à petit le format “album” par des listes musicales préétablies. Pour autant, elles n’incitent pas assez à la découverte de nouveaux titres.

En Belgique, 75 % du chiffre d’affaires de l’industrie musicale vient du streaming. © BelgaImage

“Connecter des millions d’utilisateurs à des milliers d’artistes”. Telle était la note d’intention de Spotify à son lancement en 2006. Dix-sept ans plus tard, le leader mondial de l’écoute en ligne et ses concurrents (Deezer, Amazon, Apple Music…) ont complètement modifié les habitudes de consommation de musique. Les stratégies des artistes et des maisons de disques, ces dernières pourtant réfractaires au streaming à son lancement, sont, elles aussi, en pleine mutation.

Un exemple? Tout en restant une étape importante dans une carrière, le format “album” n’a plus le même poids stratégique qu’avant. Si les genres “rock”, “classique” et “jazz” misent encore beaucoup sur le “long playing” (une œuvre comprenant plusieurs compositions), en musique urbaine et, depuis plus longtemps encore, en musique électro, certains artistes s’en passent définitivement. Sur Spotify, l’écoute d’albums est toujours possible, mais elle n’est clairement plus la priorité hormis pour les blockbusters (Taylor Swift, The Weeknd…). Ce sont les playlists qui dictent désormais leur loi et imposent leurs choix dans un juke-box global sans cesse actualisé. Chaque jour, 60.000 nouvelles chansons sont mises en ligne sur la plateforme suédoise où sont disponibles ­quelque 70 millions de titres. À tout instant, n’importe où dans le monde.

Musique plus accessible

En Belgique, le streaming génère 75 % du chiffre d’affaires de l’industrie musicale. Et sa croissance ne va pas s’arrêter. “De plus en plus de fans trouvent leur chemin vers leurs artistes préférés dans les plateformes de streaming car l’industrie de la musique a réussi au fil des années à y rassembler toute son offre dans un seul service, constate Patrick Guns, ­directeur de l’Association des distributeurs et ­producteurs de musique en Belgique (BRMA) et d’Universal Belgium. Nous sommes convaincus que cette tendance va encore s’accroître dans les années à venir.” Artiste, fondateur du label Freaksville et président de la Fédération des labels indépendants francophones (FLIF), Benjamin Schoos confirme. “C’est une évolution logique. Elle est inexorable. On ne peut pas aller contre ça. Même si le modèle économique de Spotify a ses limites, notamment pour la rémunération des artistes, il rend la musique plus accessible et devient une force pour les artistes.”

Dès qu’un artiste a mis en ligne sa création musicale, celle-ci peut “voyager” dans le monde entier. Elle peut pénétrer dans tous les foyers. Tomber dans l’oreille d’un programmateur radio aux États-Unis. Être introduite dans une playlist ­thématique (“dream pop”, “summer vibes”…) à laquelle sont abonnés des millions d’auditeurs. Faire craquer un DJ mondialement connu, un influenceur ou un artiste star qui sont payés par Spotify pour dresser des playlists comme “curateurs de nouvelles tendances”. Autant de développements qui étaient souvent impossibles, toujours plus lents et certainement plus onéreux à mettre en place avec un format physique comme le CD ou le vinyle. “Mais pour toucher un plus grand nombre de gens sur Spotify, il faut accepter les règles du jeu, rappelle Benjamin Schoos. C’est un choix. Certains artistes qui refusent ce système se débrouillent très bien dans des marchés de niche. Pour celui qui veut élargir son public, il y a, par ­contre, un travail minutieux à réaliser en amont pour avoir une chance d’être écouté.”

Les erreurs à ne pas commettre

Contrairement à une vidéo sur YouTube ou sur TikTok, introduire une chanson sur Spotify ne se fait pas en un seul clic. Dans le jargon, ça s’appelle “pitcher une chanson” précise Benjamin Schoos. “Il faut encoder préalablement un maximum d’informations (les métadonnées - NDLR) pour influencer les algorithmes qui vont guider les utilisateurs. Pour une chanson en anglais, on doit mettre une ­lettre capitale à chaque mot du titre. En français, c’est seulement une capitale sur le premier mot. Si on se trompe, la chanson en français ne sera jamais dirigée vers une playlist “chanson française”. Pour se retrouver dans les playlists les plus populaires de Spotify, on conseille aussi de mettre des mots-clefs (“dream pop”, “urbain”, “classic rock”) et de citer des artistes associés.” C’est-à-dire des artistes dont on se sent ­proche musicalement. “Enfin, si on orthographie mal les noms des auteurs et compositeurs, il faut savoir que leurs royautés n’arriveront jamais à destination. La récompense de tout ce travail, c’est que Spotify permet à l’artiste de savoir en temps réel qui l’écoute et où on l’écoute. C’est un outil considérable pour le développement d’une carrière.”

Le danger de l’uniformisation

Ce système de métadonnées conduit forcément à un formatage avec le danger d’uniformisation de la musique. Coté en Bourse, Spotify n’est pas là pour éduquer les masses au bon goût mais pour gagner de l’argent. Pour avoir un maximum d’abonnés, la société suédoise répond à la demande. Et force est de constater que ce sont les chansons pop mainstream de trois minutes qui sont les plus écoutées et donc mises en avant par le robot intelligent de Spotify. Et comme elles sont mises en avant, elles sont encore plus écoutées au détriment des autres.

Selon une étude du Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC) publiée au début de l’année, 93 % des artistes inscrits sur Spotify comptabilisent moins de mille auditeurs par mois. “Ce n’est pas forcément la faute de Spotify, conclut Benjamin Schoos. Il y a des milliers de playlists de rock progressif, de jazz fusion, de musique baroque, de musique ambient ou d’autres styles pointus. Personnellement, je découvre plus de nouvelles choses sur Spotify qu’en écoutant Tipik, Classic 21 ou NRJ. Mais encore faut-il être curieux et vouloir sortir de sa zone de confort.”

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